Digital reissue, originally released in 1993
Liner notes by Philippe Carles :
... Rarement musique de notre temps aura été aussi "à fleur de gorge". Tout ça est grave, tout ça est aigu... Comme un chant constamment menacé.
L'émergence est risquée, presque douloureuse, troublée de fantômes et prolongements sympathiques (comme l'encre et sa présence-absence, mais aussi qui "participent à la souffrance d'autrui"). Loin - ou à côté - de tous sanglots longs, sautillements swingants et autres imageries violonistes, c'est à une manière d'escalade, et donc de voyage de grande ampleur, qu'invite l'archet de Dominique Pifarély tout au long de ces treize "mouvements". Plus sensiblement et finement que la banale alternance des tempos et climats à quoi se résout aujourd'hui le programme d'innombrables disques, ici le jeu des tensions, tangentes et affinités participe d'un évident esprit de "suite" plutôt que de quelque fantasme de "variété" - l'essentiel n'est pas dans les effets et "contrastes". C'est dire que ce violoniste-là invente bien au-delà du corporatisme sonore où nombre de ses confrères s'enferment avec une virtuosité si éblouissante que souvent la "musique" devient difficile à percevoir.
Car si le violon est bien l'instrument par excellence nomade et saltimbanque, l'outil de toutes les musiques et de tous les exils, celui de Pifarély s'impose à force de curiosité "et" de rigueur : de choix. Du conservatoire au sextette de Louis Sclavis et à l'Acoustic Quartet (avec Sclavis) en passant par la compagnie des plus remarquables défricheurs du jazz de ce côté de l'Atlantique (Martial Solal, Didier Levallet et Gérard Marais, Stéphane Grappelli, Patrice Caratini, Eddy Louiss et son Multicolor Feeling, l'Orchestra de Mike Westbrook, le Vienna Art, Gunter Sommer...), cet enfant de Montreuil (né à Bègles en 1957 mais son père est originaire de la Réunion) symbolise en sa musique et sa biographie toute une "famille" très actuelle de musiciens dans la mesure où il ne cesse d'affiner, d'élaguer son discours, se situant du même coup au moins autant par ses refus et résistances que par les compagnons qu'il s'est choisis et avec qui il entretient une relation exemplaire d'écoute et de questionnement... Soit une constellation de six instrumentistes qu'en d'autres régions de la jazzosphère l'on n'hésiterait pas à qualifier d'"all-star" et qui, au gré des plages, éclate en duos, trios, quartettes ou quintettes se développant comme autant de formes autonomes ou avatars d'une même pensée. Aussi forte que ductile, aussi ouverte que, littéralement "distinguée".
Philippe Carles - "Jazz Magazine"


... Rarely has music in our time been so close to the human voice. Now high, now low... Like a song that is constantly threatened. Its emergence is perilous, almost painful, disturbed by phantoms and quaverings which, like invisible ink, are there and not there, eloquent expressions of sympathy in suffering. Far from - or beside - all drawn-out sobs, swinging capers and other violinistic tricks of the trade, it is on a kind of ascent, an incredible journey, that the bow of Dominique Pifarély invites us to embark throughout these thirteen "movements". With greater sensitivity and refinement than the banal alternation of tempos and climates to which countless discs are nowadays confined, here the play of tensions, tangents and affinities betrays a clear consistency of thought rather than some lame pretention to "variety" - the essence is not in the effects and "contrasts". What this means is that the inventive power of this violinist reaches far beyond the sonic corporatism into which many of his colleagues shut themselves with such dazzling virtuosity that the "music" often becomes difficult to detect. For if the violin is, "par excellence", the nomad and the acrobat of instruments, the tool of all musics and all exiles, Pifarély's makes its presence felt by its curiosity "and" its rigour - in short, its discernment. From the Conservatoire to the sextet of Louis Sclavis and the Acoustic Quartet (with Sclavis), via the company of the most remarkable pioneers of jazz on this side of the Atlantic (Martial Solal, Didier Levallet and Gérard Marais, Stéphane Grappelli, Patrice Caratini, Eddy Louiss and his Multicolor Feeling, the Orchestra of Mike Westbrook, Vienna Art, Gunter Sommer...), this child of Montreuil (born in Bègles, Gironde in 1957 although his father is from Reunion Island) symbolizes in his music and his life story a whole "family"of contemporary musicians inasmuch as he is constantly refining, paring down his expression, thereby defining himself at least as much by his rejections and reticences as by the companions he has chosen and with whom he cultivates an exemplary relationship of listening and questioning... In other words, a constellation of six instrumentalists who in other regions of the jazzosphere would immediately be called "all-star" and who, track by track, regroup into duos, trios, quartets or quintets, developing like autonomous forms or metamorphoses of a single thought. A constellation as strong as it is ductile, as open as it is, litterally, "distinguished".
Philippe Carles - "Jazz Magazine"
Translation by Ann Wilkinson